Debdou est situé au bout d’une route qui ne mène nulle par ailleurs. C’est une bourgade qui se trouve aujourd’hui à l’écart des voies, routières et ferrées, qui relient le Maroc occidental à Oujda, et au-delà à l’Algérie. Le plateau steppique se relève, formant une série de collines et buttes culminant à 1650 mètres.
Une zone de relative verdure, favorable à l’horticulture se présente alors à quarante kilomètres de la Moulouya. C’est là que se trouve Debdou où, en 1973, vivaient encore sept familles juives, dernier lot d’une communauté qui présentait cette particularité, au début su siècle, d’être largement majoritaire dans son bourg. C’est de nos jours un chef de caidat, marché des tribus pastorales environnantes, rendez-vous de chasseurs attirés par un gibier abondant.
Il est difficile d’imaginer que Debdou ait été autre chose au cours des âges. Il faut étudier la carte avec les yeux d’un chef de caravane pour comprendre les avantages que ce point présentait par sa sécurité, ses ressources et surtout sa position de carrefour au-delà de la trouée de Taza, entre les pistes reliant Fès à Tlemcen, celles qui descendaient de l’Atlas par la vallée de la Moulouya, et surtout la route qui remontait du Tafilalt, du Sahara, vers la Méditerranée et l’Algérie.
Cela explique l’importance commerciale- et politique- de Debdou, sa « Gaâda » pour le Makhzen central ou les pouvoirs régionaux. Cette position explique également le « rayonnement » de la communauté juive de Debdou, les influences qu’elle a subi-Fès, Tafilalt et Tlemcen- et pourquoi on y trouve après 1391 les premiers réfugiés d’Espagne, « Sévillans » du Geros sbilia.
Cette vague de réfugiés espagnols a faiblement concerné les grands centres du judaïsme marocain. Par contre, les communautés de Tunis, d’Alger et Tlemcen sont redevables d’une partie de leur peuplement à l’exode du royaume d’Aragon au début de la crise du judaïsme espagnol.
Dans l’état actuel de nos connaissances, il est difficile de préciser le parcours suivi par les megorashim installés à Debdou : sont-ils « directement » ou après un séjour plus ou moins long en Oranie ? En tout cas, un rapprochement s’impose avec les parlers juifs de Tlemcen, Alger, etc.
Les juifs de Debdou, ou plus exactement leurs deux clans dominants, les Kohen Skalli et les Ulad Marsiano (ou Morsiano) rattachent leur origine à Séville, et encore en 1929, ils dataient leur starot (actes, contrats) de Sbilia assimilant Debdou à leur ville de lointaine origine. Ils avaient baptisé la source principale de la bourgade du nom significatif d’Aïn Sbilia.
En fait, les Ulad Marsiano auraient habité, avant Debdou, la localité de Kasbah el Makhzen, ce qui laisse à penser que l’installation de Geros sebiyanos a connu des étapes. A Debdou, ils ont trouvé une population autochtone ; puis d’autres familles de baldiyyin les y ont rejoints. L’onomastique, dans la mesure où on peut s’y fier, confirme cette opinion de Selomo Hakohen.
Au XVIIè siècle, une migration massive avait transféré la population juive de Debdou à Dar Masâal dans les Beni Snassen. Elle en revient en 1690 lorsque Moulay Ismaïl rasa cette localité.
Cette communauté dont l’activité principale était le commerce, local et à grande distance, a essaimé avant et durant le protectorat dans tout le Maroc Oriental : Ksabi, Missur, Utat al-Hazz, Taza, Oujda, Taourirt, Guersif, Midelt, le rif et Melilla ; en Algérie aussi, etc.
Enfin l’étroitesse des liens avec Tlemcen et l’Algérie n’est pas sans avoir influé sur le parler de Debdou du point de vue des emprunts : des termes espagnols sont communs aux parlers de l’Oranie, d’Oujda et de Debdou, et des emprunts précoces au français sont venus d’Algérie…
Simon Levy, fondateur du Musée de Judaïsme marocain de Casablanca (Extrait de mémoires juives de l’Oriental marocain. Editions La Croisée des Chemins. Maroc)