Debdou ou la mémoire juive !
Comment se fait-il que cette petite ville inconnue de tous aujourd’hui fut dans le passé l’un des plus importants centre du judaïsme en Afrique du Nord. Aujourd’hui Debdou s’est vidée de ses habitants juifs. les dernières familles juives ont quitté le Mellah dans les années 1970. Mais Debdou garde farouchement la mémoire de ces juifs. Sur les 14 synagogues que comptait la ville, deux sont encore debout et accueille encore les visiteurs juifs, rares mais toujours fidèles à la ville. Ils viennent se recueillir sur la mémoire de leurs ancêtres dans les 2 cimetières juifs gardés et toujours bien entretenus, comme si la ville refuse de tourner la page de Debdou la juive et dont le symbole le plus prégnant et le plus puissant est sans doute la source Sbylia (en arabe Séville) témoin des origines des juifs debdoubis.
En effet, la présence des juifs dans cette petite bourgade marocaine au pied de l’Atlas est la conséquence directe des massacres des juifs espagnols de 1391 et en particulier à Séville. les juifs qui n’avaient pas été tués ou convertis de force avaient choisi le chemin de l’exil. leur route les conduira en Afrique du Nord et notamment le Maroc.
La légende veut que le rabbin qui mena ces exilés de Sépharad – des megorachim, qu’on oppose aux juifs autochtones appelés tochavim – aux contreforts de l’Atlas, voyant que ce bourg connaissait une grave pénurie d’eau qui allait handicaper la future installation de la tribu, aurait frappé de son bâton un rocher d’où jaillit une source, andalouse, certes, puisque joyeuse et babillarde, et c’est pourquoi encore aujourd’hui, lieu de pèlerinage et d’adoration, Debdou vénère toujours la “source de Séville”.
Qu’ont-ils de particulier, ces Juifs de Debdou ? D’abord, le fait qu’ils furent longtemps majoritaires dans ce bourg, composant en fait les trois quarts de la population. Le père Charles de Foucauld y séjourna en 1883-1884, et y apprit même, dit-on, l’arabe et l’hébreu, ce qui lui permit de traverser le Maroc et de pénétrer les milieux arabes déguisé en rabbin !
Commerçants et agriculteurs ou éleveurs, les Debdoubis se caractérisaient surtout par leur application à l’étude et à l’écriture de la Torah : beaucoup d’entre eux furent des Sofer, des scribes et des rabbins, et ce livre reproduit un de ces fameux Sefer Torah, pour certains recueillis et conservés en Israël. L’usage de l’hébreu était courant parmi cette communauté, comme l’attestent, dans l’iconographie, nombre de pièces juridiques et de kétouboth de mariage (nous avons, dans ma famille, conservé un acte de vente de mon grand-père, entièrement rédigé et signé en hébreu). D’ailleurs, à Alger dans les années quarante, comme plus tard à Paris dans les années soixante, il y avait une tradition de rabbins marocains et de savants talmudistes. La science de l’écriture, ce livre entend le montrer, ne fut donc pas l’apanage des seules communautés d’Europe centrale ou de Lituanie. Il y a eu, jusqu’à nos jours, d’appréciables hébraïsants, et même des rabbins miraculeux issus des mellahs marocains.
Dans son livre : Une nouvelle Séville en Afrique du Nord, son auteur Rabbi Eliyahou Marciano propose une généalogie des juifs de Debdou. C’est sans doute la plus complète à ce jour, car elle regroupe bon nombre de patronymes autour de quatre grandes familles, de structure pyramidale : les Cohen Scali, les Bensoussan, les Marciano et les Benhamou. Mais on trouve aussi des patronymes affiliés : Anconina, Benaïm, Benguigui, Bensadoun, Bensultan, Marelli et Tordjman. Et bien d’autres branches collatérales. Une petite note biographique complète les tableaux généalogiques que chacun pourra lire avec intérêt, voire avec passion s’il reconnaît, ici ou là, quelque ancêtre en son incertaine pérégrination.
- Source Sbylia « Ain Sbylia » aujourd’hui