Histoire de Debdou
Introduction
Il est difficile de retracer l’histoire de la localité de Debdou, par manque de sources historiques avant la seconde moitié du XIIIe siècle et l’occupation de la région par les Mérinides comme l’a indiqué Nahum Slouschz: «Somme toute, la Gaada, qui porte le nom de Debdou, ne figure dans aucun texte écrit antérieur à la domination Mérinide » (p. 17). Époque à laquelle Debdou commence à prendre une importance stratégique par sa situation géographique mais aussi en se référant à la description enthousiaste qu’en a faite Charles de Foucauld en 1885, soit bien après son âge d’or, par son abondance, dû à un micro climat favorisé par son enclavement. Il est évident qu’il faudrait relativiser tout cela par des reconstitutions paléoenvironnementales et des témoignages qui permettraient d’avoir une idée plus précise de ce qu’il en est réellement. Cependant le passage d’un affluent de la Moulouya au centre de la vallée, l’oued Debdou (Telagh, Bourwed), ainsi que la résurgence de nombreuses sources qui affleurent au pied de la vallée, sans parler des nombreuses grottes qui l’entourent pouvant constituer des abris potentiels, sont autant d’indices qui laissent à penser que cette dernière a dû être occupée très tôt. On a d’ailleurs retrouvé des traces datant de la préhistoire, notamment du paléolithique et du néolithique près de là: ainsi des tumulus ont été relevés à la station du Goutitir sur l’oued Al Abd, ainsi qu’à Aïn Fretessa, et à Ayoun Sidi Mellouk. De plus la tradition veut que Debdou ait été occupé par les Romains, comme semblent en témoigner certains vestiges comme le notent M. Voinot et N. Sloushz : notamment par l’existence près de la Kasba, «d’un fossé et d’une galerie souterraine taillés dans la roche, s’enfonçant jusqu’à environ 30 mètres de profondeur», même si aucun élément déterminant n’a permit de valider cette thèse depuis lors, celle-ci aurait aussi pu être l’œuvre des Mérinides. Ainsi selon un article de l’encyclopédie de l’Islam, «Debdou», en arabe دبدو est l’orthographe la plus courante désignant cette petite ville du Maroc oriental, cela peut aussi s’écrire Dabdū, de même l’on appelle un habitant de Debdou, un Debdoubi. En fait, il existe trois hypothèses à l’origine de cette appellation: la première est liée à la venue des juifs au XIVe siècle et notamment d’un s’appelant David Dou, il s’agit en fait de rabbi David haKohen, la seconde plus probable se rapporte aux premiers habitants probables de la région, les amazighs Debdou se rapprochant d’un terme amazigh signifiant entonnoir, la troisième se rapporte à l’occupation des Mérinides avec le même sens que précédemment.
Historiographie générale
Contexte historique générale des Idrissides aux Mérinides
Point de Debdou dans cette partie, car l’existence de cette ville n’est authentifiée qu’à partir du XIII ème-XIVe siècle. Ceci n’est qu’un petit rappel historique concernant la région pour comprendre la situation de Debdou au moment où nous nous y intéresseront.
De la Foutouh Ifriqiya aux idrissides.
Pour comprendre l’histoire du Maroc moderne il est nécessaire de remonter à la légendaire « Foutouh Ifriqiya » contant la conquête du Maghreb par les musulmans dans laquelle la région de l’oriental tient une place importante comme le précise Mamoun Naciri. Ainsi que par la suite la dynastie chorfas fondatrice du Maroc: celle des Idrissides (788-894). Ce dernier est un shiite rescapé du massacre du Fakhk descendant d’un parent du prophète, nommé Idris qui fonde en 788 un petit État qui s’émiette en une série de petites principautés qui s’illustre par la ville de Fès fondé en 788. Après l’avènement de cette dynastie, la région est tiraillée par des luttes intestines pour accéder au pouvoir, ainsi le Maroc oriental et le sud Oranais connaissent les guerres entre différentes tribus:
• Les Sanhadja, islamisés superficiellement nomadisant entre le Draa et le Niger.(cf. Almoravides).
• Les Maghraoua
• Les banu Ifrene
À cette époque une tribu Zénète, les Banu Ouacine, règne sur la Moulouya.
Les Omeyyades d’Espagne sont gouvernés par Abderrahmane III (912-961) et par la suite par son fils El Hakam (961-976). Ils mènent une politique contre les États chrétiens du nord et au Maghreb rivalisent avec les Fatimides pour le contrôle des routes sahariennes de l’or, et prend comme son rivale Fatimides un titre honorifique de Calife et de commandeur des croyants avec le surnom de «Nasir al Din Allah», c’est-à-dire défenseur de la religion d’Allah. Ce dernier profite de la révolte d’Abu Yasid pour établir son autorité dans le Nord du Maghreb. Son autorité s’établit ainsi de Tanger à Alger. Ces derniers interviennent pour établir leur suzeraineté en renversant les derniers Idrissides et établissent les Maghraoua à Fès en 970 qui deviennent maîtres de tout l’oriental, avec comme chef Ziri Ben Attia, fondateur de la ville d’Oujda en 994.
L’occupation de la région sous les Almoravides.
Genèse de la dynastie almoravide.
Aux XI et XIIe siècles, après le départ des Fatimides tandis que l’est du Maghreb subit les invasions hilaliennes dont les répercussions s’étendent sur plusieurs siècles et qui à long terme finissent par avoir des répercussions dans la région de l’oriental sous les Mérinides, (au XIVe siècle). Provoquant des bouleversements ethniques et économiques importantes, appauvrissant les villes et déstabilisant les axes commerciaux. L’Ouest va voir d’autres nomades réaliser pour la première fois leur unité. Ce sont les Almoravides issus de la tribu des Lemtouna appartenant à une confédération des tribus berbères des Sanhadja islamisés superficiellement. C’est après un pèlerinage à la Mecque que le chef de celle-ci, Yaha Ibn Ibrahim décide de ramener un savant malikite qui fonde un ribat (couvent fortifié) ces derniers abritent des communautés religieuses et guerrières menant le djihad contre les infidèles, d’où leur nom Almorabitun (les hommes du couvent).
Les conquêtes territoriales
On leurs doit entre autres sous la conduite de Yusuf Ibn Tachfin (1060-1106) la fondation de Marrakech en 1062 ainsi que la conquête de Fès, du rif et de Tanger, et à l’Est jusqu’à Alger en 1082. Par la suite les Almoravides finissent par se trouver à la tête d’un empire constitué de 3 parties en faisant un empire assez hétérogène instable, difficile à gérer:
• Le Sahara.
• Le Maghreb occidental
• L’Espagne musulmane
La part du Maroc oriental dans celles-ci
Ibn Tachfin s’empare de l’oriental entre 1070 et 1081 où il conquiert la ville d’Oujda et la montagne des Béni Znassen. De plus, il s’empare de Tlemcen où se sont réfugiés les derniers Maghraoua et les Beni Ifrene, dont il fait tuer les gouverneurs et massacrer la garnison.
C’est de là que date la construction de la Kasba d’Outat El Hadj (ville proche de Debdou).
Fervents défenseurs d’un malikisme très vite figé et hostile à toute recherche nouvelle, les Almoravides finissent par être battus en brèche par un autre mouvement de réforme religieuse, celui des Almohades qui unifient tout l’occident musulman. Leur œuvre territoriale n’a pas dépassé les années 1125-1147.
Un Almohadisme unificateur
Un expansionnisme issu d’un mouvement doctrinaire tout comme le malikisme Almoravide
Issu de la doctrine Ibn Tumert fondé sur l’unicité de Dieu, le Tawhid d’où le nom almohade, venant d’Al Muwahhidun signifiant les unitaires. L’Almohadisme est opposé au malikisme Almoravide, à qui il reproche entre autres d’avoir une approche trop anthropomorphiste de la religion. Avec Abd Al Moumin, Ibn Tumert de retour d’un voyage en occident; retourne dans le haut atlas en 1125 où il met sur pied une organisation communautaire et un conseil secret, chargé de reprendre sa doctrine. C’est son successeur et disciple Abd Al Moumin nommé Calife en 1130 qui est le véritable constructeur de l’empire.
Abd Al Moumin unificateur et organisateur de l’empire
Privilégiant l’Est du Maghreb occidental à cause du danger normand en Ifriqiya, il achève l’unification du Maghreb en 1163. Ce dernier est aussi l’organisateur de l’empire, dont il fait une monarchie héréditaire, il nomme ainsi ses fils à la tête des provinces. Ainsi ses successeurs ont par la suite gardés ce système familial de gouvernement.
L’œuvre d’Abd Al Moumin dans l’Oriental
Celle-ci est évidemment à rattacher avec le contexte cité précédemment: l’Oriental a été le théâtre de batailles entre les Almoravides et les Almohades, Abd Al Moumin a ainsi reçu la soumission des Beni Znassen, des Koumia et a établi son autorité au nord de Tlemcen. Par la suite il donne des commandements à ses fils dont Abou Hafs qui reçoit le Maroc Oriental et Tlemcen.
La dissolution de l’empire Almohade : la fin de l’unité maghrébine
C’est après le règne de Yakûb dit Al Mansûr (1184-1198) que l’empire Almohade connaît un déclin: ainsi l’almohadisme est considéré comme une hérésie au Maghreb où elle déchaîne des rébellions. De même qu’en Andalousie avec le sursaut des chrétiens après la bataille d’Alarcos, au cours de la bataille de Las Navas de Tolosa (1212) marquant le début du retrait définitif de l’islam en Espagne.
Le déclin de l’empire Almohade marque une nouvelle ère dans le Maghreb. La dissolution de ce dernier met en place au Maghreb trois États issus de ses propres structures:
• Le Sahara.
• Le Maghreb occidental: Les trois États qui se sont partagés le Maghreb, c’est-à-dire les Hafsides de Tunis, au centre les Abdalwadides de Tlemcen, à l’ouest les Mérinides qui se veulent héritiers des Alhmoades et se proposent comme but d’en reconstituer l’unité. Sous ces dynasties, les Hilaliens prennent de l’importance (ce que nous verrons plus loin) et les grandes villes reçoivent un apport d’émigrés andalous leur apportant du sang neuf. C’est de cette époque qu’il faudrait dater les origines des premiers habitants de Debdou se disant d’origine Andalouse.
• L’Espagne musulmane qui appartient désormais aux Nasrides jusqu’en 1574.
Ce qui va être déterminant pour l’histoire de la région et de Debdou en particulier, car celle-ci va par la suite être liée aux antagonismes entre Abdalwadides et Mérinides pour le contrôle de la région et va ainsi devenir un enjeu important car se situant dans une position stratégique qui va lui donner une importance sans commune mesure, qui va lui permettre de supplanter Taza durant une longue période qui va représenter l’âge d’or de Debdou.
II) L’âge d’or de Debdou
L’émergence des Mérinides au Maroc
Ainsi après la déchéance de l’empire Almohade la dynastie des Mérinides prend le pouvoir au Maroc. Mais qui sont les Mérinides? D’où viennent-ils ? Comment sont-ils venus au pouvoir?
En fait les Mérinides appelés aussi Banu Marin, sont une dynastie berbère du groupe Zénète. Ibn Kaldoun dans son Kitab al Ibar désigne le désert entre Figuig et Sidjilmasa comme leur terrain de parcours d’origine. L’arrivée de tribus arabes dans la région du sud entre les XI ème et XIIe siècles a été la cause de certaines mutations démographiques qui ont obligé les tribus à remonter vers le nord et à s’installer au Nord-Ouest de l’Algérie actuelle. C’est vers le début du XIIIe siècle qu’ils effectuent leur pénétration sur le long terme dans les régions habitées de leur zone de parcours habituel profitant du déclin Almohade. Celle-ci s’impose sous l’égide de la maison des Abd Al Hakk, qui conquièrent de grandes villes telles que Mekhnès (1244), Fès (1248), Sidjilmasa (1255) et Marrakech (1269).
Debdou : une entrée mouvementée dans l’histoire
Avec l’appui des tribus Zénètes installées dans la région de Taza, notamment les restes des Miknassa et les Maghraoua, les Mérinides atteignent le Maroc oriental et occupent Taza en 1216 et poussent à l’ouest en dominant le plat pays et la bordure de la montagne. Vers 1257 Abû Yusuf Yakub (1258-1286) soumet tout le Souss jusqu’à Oujda, en abattant ainsi l’autorité Almohade. De même qu’il se porte en 1267 contre les Abdalwadides qui ont attaqué Taourirt et sa région. Par la suite les campagnes des Abdalwadides continuent et c’est donc son descendant Abû Yakub Yusuf (1286-1307) qui part en campagne en 1295 et s’arrête à Taourirt, et engage durant la même période des campagnes contre les Abdalwadides. On note que ce dernier réussit à parvenir jusqu’à Tlemcen dont il a fait le siège entre 1299 et 1307, bien que celle-ci n’est prise que bien après en 1337. Il faut comprendre cette politique expansionniste au travers du rêve Mérinides d’unité et de reconstituer l’empire Maghrébin constitué auparavant par les Almohades et qui ne les a jamais quitté. C’est par le biais des Mérinides que Debdou rentre dans l’histoire écrite: on la décrit comme étant citadelle fortifiée (Kasbah) contenant une garnison tout comme sa consœur Taourirt, et d’autres dans les montagnes avoisinantes pour s’opposer aux Abdalwadides de Tlemcen, elle joue un rôle stratégique de par sa situation géographique particulière à la frontière des deux États antagonistes mais aussi de par son relief escarpé, protégé par la montagne qui la rend difficilement attaquable comme vont le montrer par la suite les attaques des tribus Maquil.
En ce qui concerne la place politique qu’occupe Debdou à ce moment on peut dire que lors de la répartition effectuée par Abd Al Hakk (1196-1218) entre les tribus Mérinides, elle échoit au partage aux berbères Beni Ali fraction des Banu Urtajjen qui, chargés de couvrir Fès contre les entreprises des Abdalwadides de Tlemcen, en font la capitale de leur fief, cela lui vaut d’être dévastée en 1364-5 par le roi de Tlemcen Habou Hammou II (1359-1389). Ainsi Mamoun Naciri précise que « Les témoignages de ces dévastations sont confirmés sur le terrain, puisque la majorité des monuments de l’époque ont disparu et n’en subsiste que le toponyme ». C’est une période à laquelle il est à noter pour le contexte général que le royaume Abdalwadides retrouve une certaine aisance de mouvement même si ses volontés d’extension vers l’est demeurent inefficaces et le danger Mérinides toujours présent.
Hammou dans la région, on n’a guère d’indications quant à l’histoire et l’occupation de Debdou, et des questions se posent : qui commande la place de Debdou? Peut-on toujours dire que Debdou est un fief Mérinides comme l’a indiqué l’encyclopédie de l’islam la décrivant comme un émirat Mérinide dans son article sur les « béni Wattas » ? Par la suite au cours de la fin du XIVe siècle début XVème après l’excursion d’Habou A-t-il été abandonné temporairement ? Les seules indications qui nous sont données concernent la venue des arabes Maquil dans la région. Les Maquil sont des tribus arabes, probablement originaires du Yémen, venus d’Arabie en même temps que les Beni Hilal. Ces derniers commencent à s’infiltrer au Maroc durant les premières décennies du XIIIe siècle sous la dynastie Almohade, ils ont abordé le pays par le sud-est, et se sont répandus dans les régions orientales et méridionales, d’une part entre l’Ouest de l’Oranie et de la vallée de la Moulouya jusqu’à la côte méditerranéenne, puis dans le sud-est du Maroc actuel, jusqu’au littoral atlantique au sud du Haut-Atlas (correspondant à ce qu’on désignait par le Maghreb al Aksa). Leur rôle commence à prendre de l’importance sous les Mérinides. Durant le XIVe siècle notamment, le Maroc oriental souffre de l’opposition de ces tribus aux souverains Mérinides. Par la suite malgré la politique généreuse menée par le gouverneur d’Abû Inan au Da’ra, certaines fractions continuent leurs malversations dans toute la région. Vers la fin de cette dynastie, les arabes Maquil profitent dit-on de « l’anarchie qui régnait dans le pays » (Nahum Slouschz) pour occuper la région entre Tlemcen et Taourirt s’emparant de Tafrata et des plaines environnantes. Cette « anarchie » à laquelle fait allusion Nahum Slouschz correspond en fait à la phase de désintégration territoriale que connaît la dynastie Mérinides et qui s’accentue sous le règne du Sultan Abou Saïd III (1398-1420). C’est un processus de décomposition interne qui aboutit à une dislocation territoriale, liée entre autres à des forces centrifuges dû à leur faiblesse numérique, ethnique, l’absence de base religieuse pouvant servir de base solide à leur pouvoir comme pour les Almoravides et les Alhmoades, ainsi que leur dépendance aux arabes Maquil qui pose sur le long terme le problème de la dissociation territoriale contribuant à affaiblir le territoire (on trouve des problèmes comparables chez les Abdalwadides de Tlemcen). Les causes directes quant à elles, sont liées au contexte politique, notamment aux marabouts qui appellent à la guerre sainte contre les portugais qui ont occupé Ceuta. En 1415 les arabes s’agitent et se livrent au pillage, un souverain Hafside (de Tunisie) arrive même à faire une incursion jusqu’à Fès. Malgré leur mainmise sur la région, ces derniers ne peuvent s’emparer de la vallée de Debdou qui oppose une résistance farouche et qui finit par obtenir son indépendance par un traité, celle-ci restant soumise au chef de la résistance Moussa Ben Hammou fondateur de la dynastie des rois de Debdou. Ce dernier se proclame souverain de Debdou vers 1430. Lui et ses descendants vont y régner plus de 100 ans.
Les rois de Debdou
Moussa Ben Hammou annonce la dynastie de ce qu’on peut appeler les « rois de Debdou » dont on connaît la liste par Léon l’Africain. C’est une période qui marque l’apogée de Debdou dans l’histoire. Cette époque est liée par la tradition orale à la dynastie Mérinides bien qu’elle lui soit postérieure. Ainsi Nahum Slouschz précise que l’on ne sait pas grand-chose sur l’origine de ce souverain, mis à part le fait qu’un clan juif en porte le nom, de même que les Oulad Hammou chez les Ahl Admer dans la région avoisinant Réchida plus à l’ouest.
Voici leur noms et dates de règne par ordre chronologique, il s’agit d’une dynastie héréditaire qui s’est fait reconnaître comme chorfa:
• Moussa Ben Hammou (1430-1460)
• Ahmed (1460-1485).
• Mohamed Ben Ahmed (1485-1513), surnommé « roi de Debdou ».
• Mohamed II (1513-1550).
• Ammar (1550-1563).
Le règne de ces souverains est à lier à la faiblesse de l’autorité centrale après la chute des Mérinides sous la dynastie des Wattassides, et des Saadiens.
En effet, les successeurs des Mérinides, les Béni Wattas, sont des berbères Zénètes, de la branche des Béni Marin, descendants des Béni Wacin nomades cavaliers, ils quittent le Zab et les hauts plateaux du Maghreb pour le Maghrib al Aksa au XIe siècle et dans le rif au XIVe siècle. Associés aux Mérinides, ils vont peu à peu les supplanter. Ces derniers jouissant au sein des Mérinides de nombreuses charges et dignités dont ils vont profiter pour accéder au pouvoir. Bernard Lugan n’hésite pas à les comparer aux « maires du palais » Carolingiens. Ainsi après la mort du sultan Mérinides Abou Inan en 1358, le pouvoir effectif est exercé par les Béni Wattas qui finissent par les remplacer après l’assassinat du dernier souverain Mérinide en 1465. Proclamé sultan à Fès en 1472, Abou Abdallâh Mohamed Es Saïd surnommé « Ech-Cheikh » est pourtant loin de faire l’unanimité dans tout le Maroc. En réalité le sultan Wattassides n’est que roi de Fès. Ainsi, dans le nord, Chechaouen et Tétouan sont des principautés presque indépendantes. Dans le sud, les Hintata sont maîtres de Marrakech. Debdou profitant de cette faiblesse dynastique et connaît alors son apogée sous le règne de Mohamed Ben Ahmed (1485- 1513), ce dernier étant considéré comme le souverain le plus prestigieux de sa famille d’où son surnom « roi de Debdou ». Il embellit la ville de quelques édifices, on lui reconnaît ainsi la construction du quartier el Kasbah et de la grande mosquée. De même il voulut se rendre maître de Taza sous la sollicitation même des habitants de cette ville. Mais Ech-Cheikh s’y oppose et va faire le siège de Debdou, qui est contraint de se soumettre. Ce dernier reste néanmoins « plein d’égard pour lui » (M.Nehlil) et lui confie ce qui devient désormais la vice-royauté de Debdou. Après ces évènements les rois de Debdou vont rester assujettis aux Béni Wattas et à la dynastie des chorfas saadiennes qui lui succède tout en conservant cependant une grande autonomie, celle-ci notamment en ce qui concerne les affaires internes à Debdou, est d’ailleurs une des permanences que l’on peut noter tout au long de son histoire même après son déclin jusqu’à l’arrivée du Rogui Bou Hamra et des français cinq siècles plus tard.
« Après les Béni-Mérin et les béni-Ouattas, il n’y a plus personne » (dicton populaire de Debdou)
Sous le règne d’Omar
Debdou est à son apogée comme le reconnaît Mamoun Naciri en citant une lettre de Moulay Omar aux autorités de Mellilia le 6 mars 1551 « … d’Oujda à Taza, tout le pays reconnaît l’autorité de Moulay Omar, il n’y a plus que Fès à soumettre. » Cette période est très agitée sur le plan régional, en effet elle correspond à la venue des turcs ottomans à l’est, ce qui n’est pas anodin car le Maghreb, et surtout le Maroc constitue un pont vers l’Europe risquant de mettre en danger l’Espagne
Après la mort de Ammar, Debdou connaît une déchéance progressive : Debdou est directement annexée par les saâdiens, pourvue d’un pacha et d’une garnison chargée de la défendre contre les turcs.
L’œuvre architecturale des Mérinides
Celle-ci est considérable. On rattache notamment à leur actif la construction de la kasbah de Debdou, de la mosquée ainsi que des grottes.
La kasbah
La construction de la kasba est signalée par Léon l’Africain. Ibn Kaldoun lui-même se serait réfugier dans ce site.
Dans la partie « Est » de la muraille de la kasbah, Michel Lecomte signale dans son mémoire la présence d’une inscription presque effacée : « Ce pan de mur a été édifié par moi, Fatima Bent Abdelahq la Mérinide, avec l’argent de sa dot »
Plan de la Kasbah
Sans s’étendre sur des détails architecturaux. Il est à préciser que les ouvrages construits par les Mérinides sont principalement à but militaire et défensif. Construite sur une sorte d’éperon à sommet plat et à de pentes raides entre 1140 et 1 190 mètres d’altitude, elle est entourée de remparts comportant plusieurs tours. À cet ouvrage se rajoutent des fossés ainsi que de grottes qui servaient d’abris lors des conflits. Peu de place est laissé à l’ornement dans sa structure, avec en son sein des habitats traditionnels en pierre sèche locale et en pisé. Il semble que ce type de construction se retrouve par la suite tant dans le quartier du Mellah que dans toute la vallée de Debdou. Ce qui est révélateur du mode de vie rural.
Des recherches archéologiques sont en cours de nos jours…
III) Debdou oubliée
La fin des rois de Debdou: le début d’une nouvelle ére.
L’arrivée des Turcs et la crise des XVe-XVIe siècles
La fin des rois de Debdou est marquée par son entrée dans la politique internationale avec l’Europe. Par l’ampleur des enjeux Debdou est un emplacement stratégique, soit pour s’emparer de l’empire chérifien pour l’empire ottoman, soit pour défendre l’Europe contre les incursions ottomanes. Ne soyons pas dupes, cette célébrité soudaine des deux côtés de la méditerranée n’est rien d’autre qu’une stratégie pour les deux camps de défendre ses positions. En fait on peut dire que le royaume de Debdou est prise entre deux feux. Elle doit faire un choix. Menacée à l’est par le royaume de pirates qui vient de se créer vers Oran. En effet: l’épisode le plus marquant retenu pour Debdou dans l’historiographie établie par Nahum Slouschz est « l’établissement en Algérie de Baba Aroudj et de son frère Keïr ed dine. Aroudj profita de l’affaiblissement du pouvoir des Mérinides pour se tailler un royaume. Aroudj s’empara successivement d’Alger et de Tlemcen » (p. 23) On cite le royaume de Debdou lors de sa fuite face aux espagnols. Mais aussi dans des sources espagnoles et portugaises dans lesquelles on cite dans la correspondance entre le roi de Debdou l’Espagne et le Portugal quelques évènements concernant le royaume de Debdou. Ainsi elle choisit logiquement l’Europe dans ses relations stratégiques. Cependant, celle-ci ne sut pas la défendre (ou ne voulut pas…). Le roi et sa famille durent d’ailleurs s’expatrier au moins à deux reprises, car en plus d’avoir subit les représailles du royaume d’Oran, elle est au proie d’une épidémie de peste qui décime la population au même moment.
Nous n’en savons pas plus sur le détail des événements. Tout ce que l’on peut dire, c’est que par la suite le royaume déchu au cours du temps quoiqu’il pût garder un rayonnement économique assez significatif pour être noté par quelques commentateurs, tout du moins jusqu’au XVIIIe siècle. Pour être redécouvert par les européens avec le reste du Maroc, dans le courant du XIXe siècle grâce aux voyages de Mr Charles de Foucauld.
Debdou, terre d’imigration
Un ensemble de facteurs socioéconomiques ont permis à Debdou de conserver une importance toute relative en tant que « port des steppes orano-marocaines ». La place qu’ont occupés les juifs à ce niveau a été déterminante. Sur le plan chronologique il est vrai qu’on aurait pu les inclure dès le régne de Mohammed Ben Ahmed mais le rôle que va jouer cette communauté dans l’histoire de Debdou va prendre toute son importance dans les siècles qui suivent. En effet c’est ce dernier qui a convié les juifs à peupler les lieux selon l’historien français H. Terrasse. Eliyahou Marciano émet l’hypothèse qu’il s’agit de descendants des juifs expulsés d’Espagne en 1391 et habitant depuis quelques décennies Fès, Tlemcen et ses environs. À ce titre voici ce que dit ce dernier à leur sujet pour la petite histoire: « Un petit groupe de réfugiés originaires de Séville, parvint à Debdou. La tradition locale parle d’une dizaine de familles, pour la plupart des Cohanim, cherchant un lieu d’asile sous la houlette de Rabbi David Hacohen. Mais l’on manquait d’eau, raconte-t’on. Rabbi David, après de ferventes prières, frappa le rocher de son bâton, et il en jaillit une source encore connue aujourd’hui sous le nom de source de Séville. » C’est autour d’elle que ce seraient développés les quartiers locaux le long de la rivière Bourwed en amont et en aval.
Ainsi dans un premier lieu on a donc les juifs expulsés de Séville originaire de Tlemcen. Un autre embryon originaire de Tlemcen serait venu vers 1545 suite à la conquête de Tlemcen par Keir ed Dine (Barberousse) selon Rabbi David Hacohen dans son ouvrage de responsa dont le contenu prouve que la présence des juifs remonte au moins au XVIe siècle. L’arrivée de cette communauté ce fait donc dans un contexte assez trouble puisqu’elle correspond aux incursions des turcs ottomans dans la région. Là, encore, Debdou occupe une position stratégique tant pour les ottomans que pour les européens. En effet, Debdou se trouve aux frontières de « la sublime porte » occupant la région de Tlemcen aux portes de l’empire chérifien qui touche l’Espagne. Il ne faut pas que les ottomans s’en emparent. Une longue et complexe guerre s’engage entre ces deux empires.
Un déclin tempéré par la « dynamique » des populations juives
Même après ces événements Debdou tient encore une place importante dans l’histoire régionale. L’expulsion des juifs et musulmans d’Espagne surtout à partir de 1391 va amener du sang neuf au Maroc, et notamment à des villes telles que Tlemcen, Fès, Sefrou et Debdou qui vont recevoir les colonies de juifs sépharades. Cette composante va permettre à cette ville de continuer à rayonner encore durant plusieurs siècles après le règne d’Omar en dynamisant son commerce, mais aussi d’un point de vue culturel et religieux. Debdou va ainsi connaître encore pendant plusieurs siècles un rayonnement sans aucune mesure avec sa taille. Il est cependant difficile de retracer le cours des événements notamment entre les XVIIème et XIXe siècles. C’est une période que l’on associe surtout à la décadance et à l’anarchie de Debdou. En effet les termes «désordre, anarchie » se retrouvent souvent dans les documents parlant des périodes reculées et peu connues de l’histoire de cette ville qui seraient caractérisées par des périodes troubles. En fait, il est probable que la venue des juifs réfugiés à Debdou ne soit pas la seule composante à prendre en compte, il faudrait aussi rajouter une forte minorité de populations musulmanes dans le courant du XVI ème-XVIIe siècle, preuve en est de l’importance des tombeaux de saints en grand nombre dans la région, dont un grand nombre remontant du V ème au VIIIe siècle de l’hégire. Mais il ne faut pas oublier aussi que Debdou est sur une région frontalière, cette fois-ci dans le sens le plus strict du terme (notion héritée de l’empire ottoman), et qu’il est possible qu’elle est conservée encore certain temps une importance militaire. Doit-on lier les nombreuses tombes qu’on y trouve aux batailles qui s’y sont déroulées ? Ou bien la population y était importante, voire cosmopolite dans le sens où elle constituait un carrefour économique, tout du moins jusqu’au développement des colonies portugaises sur toute la facade atlantique. Il semble aussi d’après Michel Lecomte que l’agriculture connaissait un développement plus important autrefois. Beaucoup de points obscurs restent à éclaircir. Il est possible que les recherches archéologiques nous donnent de plus amples informations sur la nature de ces populations et leur mode de vie.
L’économie
Les ressources
Ce qui caractérise l’économie de Debdou, c’est l’irrégularité des ressources de base : orge, ovins, caprins, liées aux aléas d’une pluviométrie capricieuse est toujours insuffisante. Peu de superficie cultivable, de qualité médiocre par ailleurs. On en compte 3 000 hectares pour Debdou, le reste est occupé par des terres collectives de parcours et de forêt dépérissante. Soit près de 60 000 hectares. Peu de rendements et beaucoup de mauvaises surprises, voilà comment Lecomte résume les rendements agricoles. On y cultive essentiellement du blé dur, du maïs, de l’orge et des oliviers. À cela se rajoute l’élevage d’ovins et de caprins eux aussi liés aux aléas du climat. Un autre problème vient se rajouter à celui-ci le choix des propriétaires d’élever des chèvres (qui détruisent la végétation). Le revenu annuel moyen s’élève à environ de 40 000 à 50 000 francs par foyer (anciens francs). On peut aussi rajouter les produits de l’élevage ainsi que d’autres activités comme l’apiculture, l’aviculture, la vente des figues de barbarie, la vente des nattes d’alfa et la fabrication de poteries qui fournissent des revenus non négligeables. Toutefois ces ressources sont irrégulières, c’est d’ailleurs ce qui les caractérise le mieux.
Les ressources annexes permises par la présence française
– L’exploitation des ressources alfatières. C’est une exploitation saisonnière permettant aux classes pauvres d’y participer durant les périodes creuses. De plus c’est mis en place un système de prêt permettant d’acheter des ânes. Le problème c’est que la rémunération de cette activité est liée aux fluctuations des cours mondiaux. Les prix d’achats de l’alfa peuvent donc beaucoup varier. – L’exploitation du romarin. Exclusivement en Gâada et dans le massif des Oulad Amor. Les sommes distribuées sont faibles mais non négligeables. – Le développement des exploitations forestières. La guerre a accru les besoins ce qui a permis à cette activité de se développer. Ce sont essentiellement les éléments les plus pauvres des Ahl Debdou et des Oulad Amor qui en profitent.
La répartition des richesses.
Au vu des ressources il est facile de deviner que la population n’est pas riche. Bien au contraire on peut caractériser les habitants de Debdou comme étant « misérable » d’un point de vue financier. En effet 40 % des chefs de foyer ne possèdent rien ! Avec au niveau des exploitants agricoles une masse de très petit possédant (entre 0 et 7 hectares), une classe moyenne réduite, et pratiquement pas de grosses fortunes. D’ailleurs comment peut-on faire fortune dans ces conditions ? Ce sont des gens qui ont profité de la situation à un moment donné, ils sont commerçants et exploitants forestiers qui réalisèrent des bénéfices faciles.
Les modes de vie
Sans rentrer dans les détails, l’on peut dire qu’il existe trois modes de vie caractéristiques du Debdoubi (et des habitants vivant autour) durant cette période. Ceux-ci sont fonctions du milieu dans lequel ils évoluent. Il y a ainsi :
– Les sédentaires habitent toute l’année des maisons étroites extrêmement rudimentaires, construites en pisé et couvertes en perches de thuyas. Ces maisons sont groupées en ksours étagés dans les vallées à flanc de montagne, à proximité de sources et situées de manière à répondre à l’impératif, autrefois essentiel, de la défense. Ils vivent de leur maigre culture (orge en bour principalement cultivé à Gâada et Tafrata) et de leur troupeau.
– Les semi transhumants vivent eux aussi dans des ksours, mais doivent plus se consacrer à l’élevage. Ils quittent donc leur maison en pisé pour les tentes d’Alfa durant les mois d’été ils migrent de Tafrata à Gâada suivant les conditions climatiques, et ne rentrent au ksour que durant les premières pluies d’automne.
– Les transhumants vivent toute l’année dans leur tente d’Alfa et se déplacent en fonction des saisons et des besoins. Leurs déplacements sont limités par leur terrain de culture.
Évidemment si l’on ne tient en compte uniquement des habitants vivant dans la vallée de Debdou, on peut se tenir à la première catégorie qui est majoritaire avec 51 % de sédentaires. Les conditions commandent le mode de vie de ces derniers. Chacune de ces tribus comprend des terrains de cultures qui lui sont spécifiques. Ex : pour les Béni Fachett les cultures sont effectuées en terrain collectif à Tafrata au débouché de la vallée de Lalla-Mimouna et en Gâada.
Concrétement, qu’est-ce qu’a apporté la présence française ?
• La suppression du brigandage pratiqué par les Bénis-Reïs, Alouana, Béni-Fachett et Oulad Amor.
• L’augmentation des emblavures en Tafrata et à Gâada.
Mais elle a entrainé la diminution des surfaces irriguées. Cela est dû principalement:
• À l’éparpillement des hommes et par conséquent des moyens, donnant un rude coup à la réalisation et à l’entretien de ces travaux.
• La diminuation des sources en eau qui serait due à la dégradation de la forêt de la Gâada.
Les conditions de vie
Des conditions de vie difficiles
La pauvreté, voila ce qui devait caractériser Debdou jusqu’à une époque récente. Les repas sont très frugales. La viande est un mets exceptionnel que l’on ne mange que rarement, surtout lors de grandes occasions comme les mariages et les baptêmes. De même que les fruits tel que les pommes et les oranges. On portait alors peu d’habits, une simple étoffe de tissu suffisait amplement pour les plus jeunes qui marchaient pieds nus, ou rarement de sandales très usés. Pour l’eau on va la chercher à la source la plus proche, l’aïn Sbylia n’en est qu’une parmi tant d’autres. C’est le travail des femmes qui s’occupent des taches ménagères. Un travail peut être bien plus difficile que ceux des hommes qui selon Lecomte ne « font pratiquement rien ». Pour les autres, la nécessité de l’émigration se fait sentir. Il n’y a pas d’éclairage la nuit ou peu. Car les bougies coutent chères. On s’éclaire à l’huile, puis plus tard au pétrole. On se lève tôt et on va couper le bois en forêt pour chauffer la nourriture. Les habitations faites en pisé (de couleur rouge) sont vétustes, laissant passer l’eau les jours de pluie. Tout rentre et tout sort. Les hivers, le froid est terrible! Les couvertures sont dures comme du bois et protégent mal, de plus toutes sortes d’insectes viennent s’y loger tel que les puces et les poux qui viennent infecter ceux qui s’y logent tel une gangraine qui ronge les sangs! Mais c’est aussi un monde où tout le monde se connaît. Les contacts entre voisins sont courants. Juifs et musulmans cohabitent dans la vie commune, ont des relations amicales, et partagent parfois les mêmes croyances en des saints comme par exemple Sidi Bouknadil. Toutefois il faut savoir que ces deux communautés évitent soigneusement de se mélanger. C’est un point d’honneur! (aujourd’hui encore). Il fallait préserver l’authenticité de leur communauté dans laquelle aucun mélange n’était permis. La religion et la tradition fixaient les limites de la mixité sociale. Et gare à celui ou à celle qui les franchissaient.
Les principales dépenses à l’échelon du foyer
Il faut faire attention à la notion d’argent pour mesurer le niveau de richesse des individus. Nous sommes encore dans une société traditionnelle au sein de laquelle subsistent de nombreux liens non marchands .
Les dépenses principales :
• Le repas du matin (Ftour) se composant de thé et d’une galette d’orge pour les pauvres, de blé pour les plus aisés qui y ajoutent également du beurre.
• Le repas du midi (redda) consiste en un couscous d’orge (tchicha) ou de blé (seqsou) avec quelques légumes, courgettes, pommes de terre, lorsque c’est la saison, exceptionnellement de la viande.
• Le vêtement et tout particulièrement le vêtement des femmes. La tradition exige que l’on renouvelle tous les trois mois environ l’indispensable « Izar » sinon le foulard.
Les riches ne dépensent pas plus que les pauvres. Par contre en bons berbères à l’âme paysanne, ils théaurisent. Nous avons des comportements semblables chez les populations Zoua dont la seule fierté est de faire augmenter la taille de leur cheptel.
Il faut émigrer !
L’émigration n’est pas une option, c’est une nécessité vitale. Le peu de ressources force les habitants à s’expatrier pour trouver du travail. Pas bien loin, il est vrai mais à partir quand même. Aujourd’hui ce phénomène est toujours visible à une toute autre échelle. Une très forte proportion des foyers debdoubis dès qu’ils le peuvent vont rechercher du travail ailleurs. Que ce soit dans les villes avoisinantes ou à l’étranger. Autrefois terre d’accueil et d’imigration, Debdou devient un foyer d’émigration. Les tendances se sont totalement inversées, c’est un peu un pied de nez que nous fait l’histoire!
Mais revenons-en à nos moutons. Nous sommes au milieu du XXe siècle en pleine période coloniale, Mr Lecomte constate ce phénomène. Où vont donc aller ces émigrants? Là où il y a du travail (pardi!).
Les Mines
• Les mines de cuivre de Mzaïta, de plomb de Sidi Lachen, de charbon de Djerada. Employant en grande partie des Oulad Amor. Bien que les ouvriers soient qualifiés on remarque un fort taux d’absentéisme durant la semaine et suivant les saisons. Ces derniers partant en campagne pour les moissons. Ce système leur permet de ne pas quitter tout à fait leur terroir. Il serait cependant assez hasardeux de classer ce type de migration comme saisonnière surtout pour les Oulad Amor qui considérent Jerada comme le prolongement de leur territoire habituel. Généralement ce type d’émigration se fait en laissant une partie de la Keïma sur place pour s’occuper du patrimoine, tandis que le chef de famille fait des allers-retours incessants entre son lieu de travail et sa tribu. L’auteur parle de masse flotante en fonction des saisons et des bonnes et mauvaises années agricoles.
– Le bassin de Touisste-Boubeker ou travail les Béni Reïs, les Fraouna-Mrassane. – Les Houillères de Kenadza pour ceux qui ont été licenciés de Jerada.
Cette émigration est-elle réellement efficace ? On ne peut le dire. Sur le plan purement financier, on peut répondre non, mais si l’on considère que l’on est dans une société en grande partie non marchande basée sur les échanges humains au sein de la famille voire de la tribu, la réponse peut être nuancée. Voyons un peu les contraintes de plus près :
• La proximité qui fait qu’au cours des déplacements de la tribu l’on dépense beaucoup plus d’argent que ce qu’on aurait pu économiser.
• Le fort absentéisme s’en ressent sur la paye.
• La difficulté de placer des économies éventuelles d’autant plus que l’on est souvent éloigné de la tribu. (Problèmes de confiance et autre).
• La vie coute plus chère aux centres miniers tandis qu’en tribu on produit tout sur place. C’est le conflit de deux sociétés, dont l’une est plutôt basée sur le capital.
• A cela se rajoutent les frais faits sur place. Les efforts étant subtantiels, on doit bien se nourrir. (peut -être aussi profite-t’on de la situation).
• Il faut rajouter à cela que le comportement de ces émigrés varie selon l’éloignement géographique par rapport à la tribu. Plus ces derniers en seront proches, plus ils auront tendance à travailler le minimum possible pour sa vie quotidienne (et ceux qui l’accompagnent) et pour faire cultiver son bled et l’ensemencer. Tandis qu’une personne éloignée aura tendance à être plus prévoyante et économe.
• Faut-il parler de « m’foutu » ? qui vivent aux dépens de leur famille pour cause d’incapacité physique.
Les exploitations forestières
C’est surtout le fait des Fraouna Mrassane qui partent seuls et envoient à leur famille de quoi vivre.
Les ouvriers agricoles
Saisonniers : Ils partent quelques semaines à l’époque des moissons et parfois de vendanges vers Tlemcen. Ce sont des Fraouna Mrassane et des Oulad Amor.
Temporaires et définitifs : ce sont ceux qui ont fait de la culture irriguée et connaissent le maraîchage. Ils partent du côté de Mekhnes, de l’enclave espagnole et de l’Algérie.
Les militaires
Peu nombreux, ils sont allés faire la guerre d’Indochine. C’est le seul type d’émigration rapportant un peu. Leur argent est employé scrupuleusement pour éviter la Chikaya au retour de l’envoyeur (s’il ne meurt pas en route…)
Un bilan résolument négatif, mais quelques espoirs tout de même
Un terroir trop pauvre et mal exploité par surcroît est très loin de fournir le minimum indispensable à son élément humain, qu’en outre la climatologie introduit dans les revenus naturels une instabilité qui ne fait qu’accroître la hantise et la psychose de la misère. De plus rien n’a amélioré l’exploitation de ce terroir et les revenus annexes sont insuffisants à combler le manque de cette économie plus que précaire. Les perspectives entre aperçu alors se basent sur le développement des superficies irriguées par la création de « Jemâas rénovés » (sorte de coopérative agricole) et de l’aboriculture par l’intermédiaire de la scolarisation avec pour but d’enseigner aux jeunes gens la pratique de cette culture.
Cette conclusion ne vaut pas pour la tribu des Zouas vivant sur le plateau de la Gâada, avec une configuration et des structures mentales sensiblement différentes dû à leur vie pastorale. L’évolution sensible de cette tribu (comme toute autre tribu nomade dans le monde) se dirige vers la sédentarisation. Toutefois d’un autre côté les pasteurs, voulant accroître leur troupeau, menacent les terres de désertification.
Conclusion : l’œuvre civilisatrice du Français : oui, c’est le capitalisme !
Le but des Français à Debdou (comme partout ailleurs dans ses colonies) était d’éclairer ces populations ignorantes et bornées, pour en fin de compte les faire rentrer dans une nouvelle ére dans laquelle nous sommes bien malheureusement entrés : celle du GRAND CAPITAL ! En effet. J’ai bien énoncé précédemment qu’il était assez illusoire de mesurer l’économie Debdoubi en termes de flux financiers. Car les échanges en termes de capitaux sont encore marginaux, mise à part pour la population juive qui fait un peu de commerce, et joue le rôle de banquier pour les autres tribus musulmanes. Nous sommes dans une société composée en grande partie d’éleveurs paysans alternant leurs modes de vie en fonction des aléas du climat qui gouverne toute l’économie. La paupérisation est un fait courant, il semble que l’on vive au jour le jour du fait de la pauvreté des ressources, d’où une difficulté, voire une impossibilité à se projeter dans l’avenir pour une partie de la population. On dit que ces derniers sont indisciplinés et qu’ils n’ont pas l’habitude de conserver leur argent, ceci s’explique facilement par leurs structures mentales habituées à consommer directement le produit de leur labeur du fait de la pauvreté des ressources. Et pour les autres qui ont un peu plus? Il faut rappeler la phrase de Lecomte qui parle à ce propos à juste titre de psychose de la misère! Alors pour ceux qui ont un surplus (suffisant) il s’agit d’anticiper les années de vaches maigres. Donc on théaurise. Les français voyant cela en bons « colons », on mal interprétait ce type de comportement qu’ils considéraient comme rédhibitoire d’autant plus qu’il existait une volonté de contrôle des populations qui étaient difficiles en dehors des échanges formellement mesurables et quantifiables, dans une perspective rationnelle. Car on est dans une civilisation de droit écrit millénaire bien ancré dans les mentalités. En face l’on trouve des tribus de berbères arabisées qui ont conservées leurs structures traditionnelles, un relatif enclavement géographique depuis la fin du XVIIIe siècle, avec une économie agricole rudimentaire. Tout n’est pas mauvais dans la vision des français, des campagnes de vaccination et des aides financières vont aider les agriculteurs éleveurs à se sortir des crises. Toutefois la perspective énoncée est quelques fois erronée. Par exemple, l’on considère que l’éleveur type (des Zouas) « le nomade toujours fruste, avare et sans besoin, sans contact ou presque avec le monde civilisé » qui produit beaucoup sans presque vendre ni acheter a un comportement « anti-économique », il s’agit de court-circuiter le cycle d’augmentation du capital troupeau et pour ce faire, lui créer des besoins, sous-entendu des besoins financiers qui n’existaient pas auparavant. Pour ce faire, on va faire en sorte que ce dernier soit dépendant de son environnement économique. Cette relation fallacieuse aux populations locales n’influencera pas tant que ça le comportement des Debdoubis qui sont soumis aux influences des éléments de la nature. Disons que durant un certain temps ces filous ont su prendre le bon et laisser le mauvais… (Jusqu’à l’arrivée de la parabole). La décolonisation débute, et le Makhzen porté par Mohamed V et Hassan II va reprendre durablement le dessus amorcant la modernisation contemporaine par la construction de barrages (entre autres).
Organisation des tribus de Debdou
La population de la ville est composée d’arabes avec une composante notable de populations nomades sédentarisées ou semi sédentarisées, et de berbères arabisés. Voici l’organisation des tribus de Debdou telle qu’elle pouvait se présenter au début du XXe siècle :
Répartition des tribus musulmanes de Debdou au début du XXe siècle [1]
I-Tribus ou agglomérations 1.Fractions ou villages 1.1.Sous Fractions etc.
________________________________________
Ahl Debdou
1. Les habitants de la vallée de Debdou proprement dit.
2. Ahl Kasba.
3. Ahl Msella.
4. Oulad El Qaela’i.
5. Khelifit.
6. Ahl Bou Ayach.
7. Ahl Rekna.
1.1.Oulad Amara
1.2.Oulad Abid
1.3.Oulad Yousof
Se divisent en deux fractions: 1.3.1.Oulad Ali Ben Ahmed
1.3.2.Oulad Abdallâh Ben Hammou 1.4.Kiadid
1.5.Kouhana. 2.1.Oulad Bouzid
2.1.1.Oulad Ahmed Ben Bou Zid 2.1.2.Oulad Allou
2.2.Oulad Belqacem (Zelqama). 3.1.Oulad Chadhmi
3.2.Oulad Moummou
3.3.Oulad Ma’amar
4.1. Pas de sous-groupe particulier. 5.1.Oulad M’barek Ben Dahmar
5.2.Qrarcha
6.1.Rattaché aux Oulad Amara.
6.2.Oulad Sidi Messaoud.
6.3.Oulad Ben Sbaha (Bahada).
7.1.Oulad Qaddour.
7.2.Oulad Ali Ben Tayeb.
7.3.Oulad Chouik Ahl Sebih’.
Koubbouyyin/ Flouch
1. Koubbouyyin. 1.1 Oulad Sidi Mohamed BELBACHIR ( Manel, Mohamed Nidhal, Ali Ikram ) 2. Flouch.( Oulad Sidi Belqacem)
2.1. Oulad Sidi abdellah Qoubbi
2.2. Oulad el Qela’i 2.3. Oulad Saïd Ben Abdelaziz 2.4. Oulad Moulay Ali
2.5. Oulad El Hadj Mohammed Ben Ali
2.6. Oulad Si Mohamed Ben Qaddour
Alouana/ Granza/ Sellaouit
1.Alouana
2.Sellaouit
3.Ahl Granza
1.1. Zerahna
1.2. Oulad ‘Ameur
1.3. Oulad Achachba
1.4. Oulad Abdessadoq
2.1. Ahl Mazzer
2.2. Ahl Taghzoud
3.1. Oulad El Hayani
3.2. El Athmana
Beni Fachat/ Beni Ouchgel
1.Béni Fachat
2.Béni Ouchguel
1.1 Oulad ‘Addi
1.2. Oulad Mh’ammed 1.3. Deh’amma
2.1. Oulad Ali Ben Haddou
2.2. Khebbaza.
Oulad Ounnan
1. Oulad Ounnan
1.1. Oulad Chemafi
1.2. Oulad Bou Harkou
[1]Sources croisées:
-Nahum Slouschz « Les juifs de Debdou », Revue du monde musulman, Paris 1913.
-M. NEHLIL, Notice sur les tribus de la région de Debdou, Bulletin de la société de géographie d’Alger et de l’Afrique du Nord quatorzième année-Tome XVI, 1911.
Répartition des tribus juives de Debdou au début du XXe siècle [1]
Elle comportait aussi une importante minorité juive (qui constituait en fait la majorité), dont voici l’organisation schématique:
Tribus familles/fractions Origines, ascendances présumées
________________________________________
Ben Hammou
Haron di Chmouel
Ben Soussou Sbiaâ
Belbachir
Avida Asmimen
Zaroual Touita
Salem
Massôd
Ben Zagai
Sbata
Fofo
Lekdim
Soussous Amouchi
Dabid
Ben Waw
Bar Rafaël
H’kika
Tababa
Bziza’h
Bouz’ît
Origine marocaine, autochtone. On peut le rapprocher d’un clan chez Ahl Admer dans la région avoisinant Réchida, les oulad Hammou. De même on peut aussi noter que le chef de la résistance locale lors des invasions hilaliennes dans la région au XVe siècle s’appelait Moussa Ben Hammou.
Benaïm
Bouch’hata Connue depuis le XVIIe siècle..
3.Aconina
Belbachir
Ben Conina
Tsiguiour
Chouaâ
Pas de précision. Famille peu nombreuse. Alliance avec les cohanim
5.Benguigui
âtsidi
Sbiaâ
Asmimen
Touita Venu du Sahara. Sa présence remonte au XVIIe siècle
7.Bensultan
Benissim
Bentata
Benefraim
Benchmouel
D’origine espagnole sa présence à Debdou remonte au moins au XVIIe siècle
8.Marelli
Ben Harona
Oulad Mniguets
Zemama
Venue de Morella (Espagne) après la reconquista.
9.Tordjman
Pas de fraction notée par l’auteur. Remonte du XVIII-XIXe siècle? Il existe différentes hypothèses quant à son origine: soit c’est une ramification des Bensoussan ou des Marciano soit elle serait due à l’installation d’un Tordjman à Debdou au cours du XIXe siècle.
10.Bensaoud
IDEM Rien de précisé à son sujet. Certainement d’origine autochtone
11.Cohen Saqali
Cohen Sabban Archidi
Benaoud Benisrael
D’cheikh
Aryaich Lougzal
Benchmouel Boukaâva
Zagouri Leknouch
Daresther Tsfia’h
Lebagdadi
Naâs Benoughraba
Lebitiwi
Hamiza
Akouch Lefsoukh
Benbouzi Elbouz
Benmchich Enbouz
Bennafha
Benzamila
Ben’hida
M’Khelef
D’Icohen
Mhigan
Benchmiân
Barmalil
D’Imagrod
L’mokhalt
Aouz Eregba
Bousseta
Tmiss
L’aâjya
Tamar
Roubin 1. Les Cohen Saqali ont une origine aaronide de la lignée de Tsadoq. Ils sont originaires de la ville de Séville.
12.Bensoussan
Coulilef
Bentana
Bziz
Mrika
Douieb
Soussan
Boussabaniya
Benbéridi
Ben Chimon
Brihem
Manina
Benâlou D’origine autochtone. Cependant E.M fait allusion aux origines sérapharades des Ben Soussan. Présente à Debdou depuis au moins le XVIe siècle
13.Marciano
Belchguer
Ben Ako
Ako
L’herher
Limama
L’khihel
Ben Aouizer
Ben Bibi
Mchicho-L’himmer
Bihi
Alouga
Ben Ychou
Ben Yaza’h
Originaire de Murcia puis réfugiée à Tlemcen après la reconquista, elle part à Natisdalet (Tadislat) avant de se rendre à Debdou au XVIème XVIIe siècle. À noter le départ récent des populations juives Sépharades venues après la reconquista (qui autrefois étaient nombreuses) suite à l’annexion d’Israël après la Seconde Guerre mondiale. La ville compte aujourd’hui approximativement 5 000 habitants.
Organisations des tribus:
Aujourd’hui cette liste a connu peu de changement, mis à part le fait que ces groupes ont désormais perdu leur caractère tribal et se sont totalement sédentarisés. Bien qu’il faut tout de même faire attention, au niveau de la classification qui est malgré tout incomplète et artificielle. Incomplète car au seul échelon du douar on peut trouver quatre ou cinq souches différentes, elles ne sont pas toute citées ici. Artificielle car ces groupes sont en mouvement et des alliances existent entre elles de telle façon qu’à partir de la deuxième ou troisième génération les groupes finissent par se confondre tandis que d’autres se divisent en diverses branches (sans parler des migrations). De plus les versions peuvent changer au cours du temps selon les dires des témoins ex: les Oulad Ma‘amar prétendent descendre de la haute Moulouya dans la notice de Nehlil tandis qu’ils disent venir d’Andalousie cinquante ans après. Ainsi comment définir géographiquement et historiquement une tribu appartenant à Debdou proprement dit ? Doit-on comme l’a fait Nehlil y inclure les Alouana et les Beni Fachat en rejetant les Beni Riis, même si on sait bien que les Alouana habitent au fond d’une vallée parallèle celle des Béni Riis? Ou comme Lecomte y inclure toutes les tribus vivant dans et autour de Debdou en une seule, même s’il s’agit de deux entités géographiques séparées comme l’a fait Michel Lecomte? Toutefois il est important de préciser que cette catégorisation correspond à une volonté du protectorat français de « recenser, localiser, délimiter les ensembles tribaux à tous les niveaux […] Il s’agissait de reconnaître aux espaces tribaux une certaine légitimité, de différencier clairement ensemble berbérophones et arabophones et d’une certaine façon de diviser pour régner en isolant les ensembles humains en réalisant un découpage amincissant calqué sur les découpages tribaux » [1]. Mais avec pour avantage de coller aux réalités humaines, aux finages aux modes de vie nécessaire pour les administrer. On peut donc la considérer dans le contexte actuel comme une démarche de recherche d’identité. Cette liste est donc encore aujourd’hui brûlante d’actualité. D’ailleurs il n’est pas anodin que l’on retrouve cette catégorisation dans son dossier [2]. On peut rajouter qu’il colle encore à une réalité aujourd’hui; ainsi on retrouve encore des traces des antagonismes locaux entre les différents quartiers. Il existe toujours une identification forte à l’appartenance à une famille et à un quartier ou à un douar. Même s’il faut nuancer cela par l’arrivée de nouveaux immigrants ces dernières années et au développement de la ville et surtout de la modernité qui commence à faire changer quelque peu les mentalités.
Les tribus musulmanes
À la liste, il faut rajouter la division en groupes familiaux des ou lad Amara, des Kouanha, ainsi qu’un groupe des Ahl Debdou qui ont fusionné avec les Béni Riis, devenant des Oulad Bou Chefra fraction des Oulad Bou Gza. Michel Lecomte regroupe les Ahl Debdou en trois grandes fractions différentes: Le Mellah, Les Mrassane et les Fraouna. Les Mrassane comprenant les Ahl Msella, les Ahl kasbah et les Koubbouyyin quant aux Oulad Ounnan ils l’ont été plus tard administrativement. Les Fraouna quant à eux comprennent les Oulad Amara, les kiadid, les Oulad youssof, les ahl Sellaouit et les ahl Rekna. À ce propos il faut aussi noter la sédentarisation de groupes auparavant nomades ou semi nomades qui auparavant séjournaient à Debdou durant l’hivernage, comme les Zouas et qui se sont peu à peu installés à Debdou ces 30 dernières années. Ce tableau nous montre l’importance du fractionnement de la population en tribus, fractions sous fractions, groupes familiaux. C’est le reflet d’un fort particularisme local, il est aisé d’imaginer les problèmes que cela a dû poser en l’absence d’une autorité forte, comme durant la période qui succède à la déchéance de Bou Hamara. En reprenant les propres termes de Nehlil qui résume bien la situation c’est : « l’anarchie générale […] Les temps deviennent propices pour les règlements de comptes arriérés qu’elles ont eu entre elles. L’oussiya (les représailles) se pratique partout et tend à supplanter la loi; les Chioukh et les miads eux-mêmes voient leur autorité méconnue: personne ne peut commander et nul ne veut être commandé ». Aujourd’hui cette liste a connu peu de changement, mis à part le fait que ces groupes ont désormais perdu leur caractère tribal et se sont totalement sédentarisés.
Les tribus juives
Les juifs de Debdou, tout comme ses voisins musulmans, se fractionnent en multitudes de tribus, avec des antécédents à Djerba comme le rappelle Nahum Sloushz. Ce qui favorise les particularismes locaux mais surtout comme on peut s’en douter aux antagonismes entre celles-ci. C’est au travers de conflits latents et rémanents à travers les siècles opposant les deux grands groupes locaux que sont les Morciano (ou Marciano) et les Saqali (ou Sqali) que ceux-ci transparaissent. Les origines plus ou moins légendaires attribuées à ces tribus de même que leur ancienneté à Debdou jouent un rôle particulier, notamment au travers de l’influence qu’elles ont au sein des autres tribus, c’est pourquoi elles sont revendiquées et peuvent prêter à polémiques. Ainsi par exemple Nahum parle de l’étymologie du nom des Saqali remettant en cause l’origine antique et sacrée, revendiquée par les Cohen Saqali (bien qu’il soit théoriquement extérieur aux conflits, cela peut prêter à confusion). Idem pour les Saqali qui reprochent aux Morciano qui leur refusent de reconnaître les droits de priorité des Saqali sur le Mellah lors de leur expulsion du Dar Mechâal. Ces derniers les considèrent comme intrus à Debdou car les Morciano au contraire des Saqali résidaient à Tatsidalt, c’est-à-dire la Kasba El Makhzen avant d’habiter à Debdou. Si on compare ce tableau à celui fourni par les renseignements que nous donne Nehlil corroborés par les informations données par Sloushz on remarque les erreurs qui ont pu être commises, ex: les Nissim dans l’analyse de Nehlil constituent une tribu à part entière alors qu’en réalité il ne s’agissait que d’une fraction des Béni sultan, il y a aussi l’appellation qui diffère ex: les cohanim sont appelés “Kouhana”. Mais pas uniquement, c’est aussi surtout révélateur d’un phénomène qui a débuté bien avant ce qu’on a pu le croire. En effet si elle ne sont pas citées c’est qu’elles n’étaient tout simplement pas là au moment où on les a répertoriées. Cela peut être dû au fait que ces tribus aient émigré à cause de l’insécurité qui a régné durant la période d’instabilité, entre le XIX ème et le début du XXe siècle. Nahum Sloushz dit lui-même: “un certain nombre de familles […] quittèrent Debdou et allèrent s’établir à Taourirt et à Berguent, ou dans les autres stations créées par les autorités militaires françaises: ils y sont attirés par une sécurité plus grande” [1]. D’autres familles séjournent ailleurs qu’à Debdou tout en gardant des liens (familiaux, commerciaux) notamment dans les grandes villes du Maroc et de l’Algérie. Déjà vers 1950 le Mellah est abandonné ; et fin 70 il n’y a plus aucun juif résidant à Debdou.